Le climat ne mérite-t-il pas mieux que ces militants-là ?

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Geoffrey Wetzel,
journaliste-chef de service

Depuis plusieurs semaines, le mouvement écologiste se divise et se radicalise. Si le réchauffement climatique ne fait plus aucun doute, la méthode d’alerte, elle, laisse perplexe. Voire agace.

Il y avait eu l’entartage de « La Joconde » de Vinci au musée du Louvre. C’était en mai. Depuis, les actions militantes croissent à vitesse grand V : une soupe à la tomate jetée sur une œuvre de Van Gogh, les « Tournesols », de la purée de pommes de terre propulsée sur un tableau de Monet, un militant qui colle sa tête à « La jeune fille à la perle » de Vermeer. Pour le climat, déterminés, ces activistes s’en prennent à l’art. Pourquoi ?  « Je pense qu’ils s’en prennent à un lieu de conservation, parce qu’on n’est pas capable de conserver les espaces naturels », estime Bruno Nassim Aboudrar, historien de l’art.

Une interprétation possible, certes. Mais la première visée de ces défenseurs de l’environnement reste, avant tout, le retentissement médiatique qui découle de ces coups d’éclats. Les gens sont attachés au patrimoine culturel. On ne touche pas à Van Gogh, Monet, Picasso ou Vermeer. Ces activistes le savent pertinemment. D’ailleurs une vitre protège généralement ces œuvres dans les musées. Non, ces militants-là cherchent à marquer les esprits. Choquer pour interpeller, faire réagir.

Problème, de ces actes… on ne retient finalement que la spectacularité. Voilà le pouvoir des images. La forme prime sur le fond. « Que vous l’aimiez ou non, notre action soupe et Tournesols a suscité un débat à travers le monde entier », se réjouit-on à l’association Just Stop Oil. Ah bon, quel débat ? Peut-être celui qui porte sur le niveau de sécurité des musées ? Celui qui interroge la limite à ne pas franchir pour défendre une cause, aussi noble soit-elle ? Ou celui sur le clivage générationnel qui se creuse entre les boomers et une jeunesse composée de « fous furieux » ? L’enjeu du réchauffement climatique, lui, reste en arrière-plan.

Ces militants-là recherchent le spectaculaire. Qu’ils ne s’étonnent pas que l’on ne parle que du spectaculaire. Le climat passe après. Après l’émoi que suscite une soupe à la tomate dégoulinante sur une œuvre d’art. Bref, « ce type de tactiques ne fonctionne pas pour changer les esprits », considère la sociologue américaine et membre du Giec Dana Fisher, qui a étudié les récents effets de l’activisme climatique.

Non le protocole ne prend pas. « Lorsque nous sommes entrés dans les musées, nous l’avons fait pour dénoncer les liens financiers existant entre les institutions culturelles et les entreprises d’énergie fossile. Dans les années 1990, quand les militants d’Act Up jetaient du faux sang, ils ne le faisaient pas dans un musée, mais dans les bureaux de Big Pharma ou devant les responsables des politiques de santé publiques », rappellent deux militants, Charles de Lacombe, membre des associations Alternatiba et des Amis de la Terre, et Nicolas Haeringer, auteur de Zéro fossile. Désinvestir du charbon, du gaz et du pétrole pour sauver le climat.

Les actions écolos ne se limitent pas à cibler les toiles des peintres célèbres, elles prennent parfois en otage la population. Comme sur le pont de Sèvres, lundi 31 octobre à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Où une dizaine de membres du collectif Dernière Rénovation ont bloqué la circulation. La réussite d’un mouvement, d’une manifestation, d’une action, tient à sa popularité. Encore une fois, ces activistes-là n’emploient pas la bonne méthode. Et risquent de se mettre l’opinion publique à dos. « L’écologie, ça va bien deux minutes », lance un automobiliste excédé. Une remarque loin d’être anecdotique. Gare à ce que ces opérations coup-de-poing ne se retournent pas contre ce qu’elles visent : la lutte contre le réchauffement climatique.

Au sein même du parti Europe Écologie-Les Verts (EELV), l’on ne s’accorde pas sur la façon dont les militants doivent alerter. Et l’école Sandrine Rousseau semble prendre le dessus sur celle de Yannick Jadot – l’eurodéputé a vu son véhicule, emprunté pour rejoindre la manifestation contre une réserve d’eau à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, vandalisé. « Vous savez, ceux qui jouent la division en permanence, à un moment donné, ça ne gagne rien », explique Yannick Jadot. Ce à quoi Sandrine Rousseau – sa désormais rivale ? – répond : « On a besoin de retrouver l’écologie de combat », elle qui approuve la « désobéissance sans violence ». Sincèrement, la défense de l’environnement ne mérite-t-elle pas mieux qu’EELV et quelques activistes de plus en plus radicaux – car de plus en plus impuissants et désespérés peut-être ?

Le changement viendra des entreprises, moins de la politique. Je m’entretenais il y a quelques semaines avec Lucie Basch, co-fondatrice de Too Good To Go, voilà ce qu’elle me répondait quand je l’interpellais sur son désir, éventuel, de faire de la politique pour changer les choses : « J’estime que l’entreprise a un impact plus efficace que la politique. Quand on entreprend, on a cette idée, on y va, on n’attend pas. C’est plus rapide. C’est concret. On lance une solution qui va directement toucher la vie des citoyens. On a moins de barrière. Car en politique, l’on fait face à des intérêts contradictoires. »

L’entrepreneuriat, bien plus rapide et efficace que la succession des COP, de « nouvelles machines à greenwashing », et l’expression vient de la bouche d’une certaine… Greta Thunberg.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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