Jean Lassalle a perdu !

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Olivier Magnan, rédacteur en chef

En ce lundi 11 avril au matin, après une nuit électorale passionnée, c’est la seule certitude que je puis proférer… dès le vendredi, jour de remise de mon édito ! Et cette vérité à sonorité ironique a quelque chose d’absurde et de nostalgique : était-il bien, au fond, le pire des candidat·es ?

Que dire, quand, éditorialiste, vous devez « boucler » vos quelques lignes colorées, teintées d’un souffle de quelque chose, avant les résultats du 1er tour de l’élection présidentielle ?

Eh bien vous vous souvenez d’un candidat, d’un seul, un homme qui n’a aucune chance d’accéder à quoi que ce soit, un Français haut en couleur, au parler rocailleux, aux yeux malicieux, un Béarnais député inlassablement réélu, un type devenu la risée de tout le gotha politique et de l’intelligentsia, un maire au nom et à la dégaine 100 % franchouillards, Jean Lassalle. La figure des anciennes Basses-Pyrénées, aujourd’hui Atlantiques. Le terrier du terroir… Un Français… authentique, comme il se définit lui-même, avec sa « France authentique ».

Vous l’écoutez, en zappant les mimiques amusées, ironiques, de ses interviewers qu’il crédite de compliments exagérés ou d’anathèmes définitifs (« Je ne regarderai plus jamais TF1 », « Renaud Dély – Franceinfo – est un chien ! »). Et vous vous rendez compte qu’il n’existe guère d’un côté les sachants, les hommes et femmes d’État, les énarques, et de l’autre les amuseurs, les fous du roi, les tribuns de la rue, les bonimenteurs. Les policés et les incontrôlables. Les légitimes et les parasites. Les professionnel·les et les amateurs.

Dans toute élection présidentielle en France, avec sa moyenne de dix candidat·es, se sont présenté·es d’illustres perdant·es, les Guy Héraud, les Jean-Claude Sebag (des « fédéralistes »), les Marcel Barbu (le « brave couillon »), les René Dumont (1er écologiste) ou les Eva Joly (première « naturalisée »). Lassalle en fait partie.

Mais il faut l’entendre parler de la France, dans une langue à peine audible et des phrases qui ne se terminent pas, un gloubiboulga dont il ressort parfois des étincelles. Au « combien ça coûte ? » des journalistes bien élevés, le paysan répond « Mais je n’en sais strictement rien ». L’âge de la retraite maintenu, les 20 000 lits d’hôpitaux, les 100 000 enseignants au salaire revalorisé, le RSA jeunes, la baisse de la TVA, les 6 000 policiers et gendarmes de son programme… « Vous croyez que les 11 autres candidat·es connaissent ces chiffrages ? » clame le bourru. Non, c’est vrai, de Jadot à Zemmour, ces mesures partagées aux chiffrages près par pratiquement la totalité des candidat·es ne sont pas calculées dans une machine budgétaire qui échappe à tous les 11, jamais encore aux manettes. Les 35 heures ? « Vous travaillez comme vous l’entendez, il faudra trouver un équilibre, vous qui travaillez 70 heures par semaine, vous ne partagerez pas le travail, c’est une idiotie », avance le pragmatique. Est-ce pire qu’un plan McKinsey ?

Et ainsi égrène-t-il ce qui sonne comme des foucades, des aveux d’ignorance aux oreilles de mes confrères·sœurs formaté·es, eux et elles qui ne savent pas non plus ce qu’est un budget d’État ni comment il se gère !

Lâchez alors le perdant magnifique dans ses envolées, et vous vous rendez compte qu’il déploie peut-être le plus beau programme qu’on ait jamais entendu, guère moins ou plus réaliste que les autres : « La France est riche de ses intelligences inutilisées. Ce pays peut tout produire, tout transformer. Il est à la croisée des mers, ses avions sillonnent les cieux, il est partout tempéré. Ses “bouts de France” tutoient les plus grands empires du monde, il pourrait tirer une énergie colossale de ses océans, transcender les habitants des mers, des villes, des vallées, des insulaires, les associer… » Et le libertaire de prôner la sortie de la « dictature molle » qui « de manière subtile, vous laisse disparaître, seul·e ».

     *

Dimanche soir. Quand, le 24 avril, Macron et Le Pen se jetteront à la tête des chiffres et des mesures, des anathèmes et des France à redresser, des guerres à gagner et une transition à gérer, je repenserai à la simple énergie du Béarnais, qui finit la course devant le PS laminé, riche de ses seuls enthousiasmes, de ses « j’en sais rien » et de ses « atouts français », et je me dirai qu’après tout, Lassalle l’amateur vaut bien n’importe lequel de ces président·es professionnel·les, non ? Après tout, Volodymyr Zelensky fut un bouffon. On a vu ce qu’il est devenu…

Le doyen de la tribu. Ai connu la composition chaude avant de créer la 1re revue consacrée au Macintosh d'Apple (1985). Passé mon temps à créer ou reformuler des magazines, à écrire des livres et à en traduire d'autres. Ai enseigné le journalisme. Professe l'écriture inclusive à la grande fureur des tout contre. Observateur des mœurs politiques et du devenir d'un monde entré dans le grand réchauffement...

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