Emmanuel Macron, le mépris de trop

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Geoffrey Wetzel, journaliste-chef de service

En dépit d’une réforme impopulaire auprès des Français, des syndicats, d’une large partie de l’opposition, la Macronie a décidé d’avancer seule. Un passage en force de plus, le onzième  49.3 déjà dégainé par la cheffe du gouvernement Élisabeth Borne.

« Regardez ce qui vient de se passer quand on réforme en passant par le 49.3, qui est pourtant un article constitutionnel : les gens le prennent très mal ». Non cette phrase n’a pas été prononcée par un Insoumis ou un député du Rassemblement national à l’issue de l’énième tour de force opéré par le gouvernement Borne. Elle provient de la bouche d’Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, en novembre 2016 lors d’une interview pour le Club de l’économie du Monde. Une posture qui laisse penser à un renouveau politique, de nouvelles méthodes quant à la manière de gouverner et diriger.

Mais aujourd’hui, Emmanuel Macron en fait la démonstration, la parole d’en haut doit imprégner la France d’en bas, et tant qu’à faire sans que le peuple ne bronche. La réforme des retraites, voilà le mépris de trop. Ce n’est plus simplement la France « rurale » qui se sent ignorée et offensée, ni seulement la France des « ronds-points » ou « périphérique », c’est désormais la France, tout court. Déjà le onzième 49.3 utilisé par le gouvernement Borne, un record depuis Michel Rocard. Résultat, Emmanuel Macron passe sous la barre des 30 % de popularité, selon un sondage Ifop, pour retrouver des niveaux d’impopularité aussi faibles… il faut remonter à 2019 et l’épisode gilets jaunes. « Pour la première fois, le socle présidentiel du premier tour est atteint », pointe le directeur général de l’Ifop Frédéric Dabi. Dit autrement, le Président de la République déçoit, y compris auprès de ses plus fidèles partisans.

La presse étrangère reste elle aussi ébahie face à cette manière de mener une politique d’un autre monde : Macron risque de « cimenter son image de Jupiter en passant ses ordres d’en haut et en ne prenant conseil qu’auprès d’une poignée de personnes », commente le New York Times, « le président français risque encore plus de mettre le feu à la rue […] Une crise institutionnelle profonde », pointe El País. En Allemagne, le Frankfurter Allegemeine Zeitung n’épargne pas non plus le locataire de l’Élysée : « Emmanuel Macron est resté muet, il est animé par une culture de l’évitement. » La presse étrangère est unanime, tout comme les syndicats français, des plus radicaux aux plus modérés, rassemblés pour contrecarrer les plans d’un homme qui marche seul. Disons-le, bâtir une telle union d’opposition relève d’une certaine maestria.

Que restera-t-il de la crédibilité de la parole publique après son passage ? À quoi bon s’obstiner à accoucher d’une réforme dont le pays, en grande majorité, ne veut pas ? D’autant plus à l’heure où la France est sortie exténuée de la longue crise covid-19, avant de repartir dans une guerre non pas « aux portes » mais bel et bien sur notre continent, en Europe. À l’heure où l’inflation angoisse nombre de familles, où la sécheresse et le réchauffement climatique inquiètent nos plus jeunes.

Non il n’y a jamais de bon moment pour réformer les retraites, certes. Mais certains restent plus opportuns que d’autres, le faire en ce moment précis… le gouvernement Borne ne pouvait pas faire pire. De la crise politique est née une crise sociale. Les arguments de la justice sociale n’ont jamais pris parce qu’illusoires, ceux de l’équilibre du système des retraites non plus, parce que les attentes des Français dépassent de simples calculs comptables. Alors Macron s’en est remis aux marchés financiers : « Je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. » Le discours ne prend pas. La « pédagogie » – cet art de vous expliquer que vous pensez comme cela parce que vous ne comprenez pas – agace. La colère, elle, n’en finit plus de gronder.

La monarchie présidentielle s’essouffle. Avoir raison seul contre tous ne fait pas de vous un héros – alors imaginez lorsque vous avez tort. Les temps ont changé : « Il y a une époque où le 49.3 était bien perçu car c’était l’attribut d’un pouvoir fort et on considérait qu’un pouvoir fort, c’était bien. Mais aujourd’hui, les gens considèrent qu’un pouvoir fort, c’est un pouvoir qui est en excès de pouvoir », soulève pour Ouest-France Mathieu Souquière, consultant et essayiste spécialisé en sciences politiques.

Bref, les prochaines années ressemblent à une impasse. Soit Emmanuel Macron décidera d’écouter celles et ceux qu’il gouverne, soit il s’entêtera à vouloir laisser une trace, « quoi qu’il en coûte », de son passage dans l’histoire… auquel cas il ouvrira les vannes de tous les scénarios possibles en 2027.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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