Dans les trains en panne de la SNCF, plus l’ombre d’un murmure

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La France est malade de son réseau ferré. Mais il semble qu’il faille se TER…

Olivier Magnan, rédacteur en chef

Quatre ou 5 millions de voyageurs, selon les sources, montent quotidiennement dans l’un des 15 000 trains qui démarrent au son du do-sol-la bémol-mi bémol. Vous, moi. Dans un Transilien, un TER, un TGV, des Intercités… Alors qu’en 2017 un sondage montrait que moins de 30 % de ces transbahuté·es se disaient satisfaits de leurs petits et grands voyages, le « monstre » ferroviaire qui perd quelque 2 000 cheminots par an (11 000 à 13 000 suppressions à venir), 3e réseau européen (après la Deutsche Bahn et… le réseau russe) ne suscite pas tant d’inquiétude que ça.

Alors que tout va mal.

Je sais, me voilà encore en porte-à-faux avec la ligne positive de nos publications. Mais ne pas évoquer les échecs qui durent ne me semble pas étranger à notre dynamique du mieux. Après tout, il faut bien évoquer ce qui coince pour contribuer à ce que l’opinion fasse pression sur le propriétaire du mastodonte qui roule mal.

En l’occurrence, l’État. Dans sa énième restructuration, depuis 2020, la SNCF est redevenue une SA à capitaux publics aux 650 filiales. Oublié le RFF d’une époque, le serpent ferroviaire à 34,8 milliards d’euros de CA en 2021 amortit ses pertes du confinement pour un résultat net de – 185 millions d’euros, ce qui ne l’empêche pas de commenter positivement ses chiffres : « Fort de la diversité de ses activités, le groupe SNCF démontre la robustesse et la résilience de son modèle. Grâce à l’engagement et à la capacité d’adaptation de ses collaborateurs et à un pilotage volontariste de l’activité, le Groupe a amorti les effets de la crise sanitaire persistante au 1er semestre 2021, puis enregistré un net rebond de l’activité au 2e semestre 2021. Le chiffre d’affaires Groupe de 2021 est en ligne avec celui de 2019 et les engagements de la trajectoire financière sont maintenus. »

C’est beau, la com.

En attendant, entre panne majeure qui entasse des milliers d’otages sur les quais de la gare du Nord et, dès le lendemain, des retards de 30’ pour panne de motrice (quand on n’évoque pas un sac abandonné ou des individus sur la voie), le quotidien ferroviaire s’enferre. L’Autorité de la qualité de service dans les transports objectivise le malaise : « 12 à 14 % des trains sont arrivés en retard en 2019. Un manque de ponctualité qui peut s’expliquer par des facteurs externes (météo, passages d’animaux sur les voies), mais qui est “en majorité le fait de causes internes à la SNCF”. »

En mars 2022, la commission des finances du Sénat avait établi le bilan de la situation de la SNCF. La liste des titres des paragraphes aurait glacé le plus optimiste des observateurs :

1. Les réformes récentes n’ont pas résolu les problèmes de financement du secteur ferroviaire.
2. La situation financière de la SNCF conjuguée au manque criant d’investissement dans le réseau appellent des mesures courageuses.
3. Le modèle économique de SNCF Réseau et le financement des infrastructures sont dans l’impasse.
4. SNCF Voyageurs fait peser une menace sur le modèle de financement.
5. Fret SNCF dépend des aides de l’État.

Et, en conclusion, « le modèle de financement du système ferroviaire doit être réformé en profondeur ».

Bigre.

« À chaque fois qu’un retard de train affecte un rédacteur en chef, me dit malicieusement l’une des journalistes de la rédaction quand j’évoque mon projet d’éditorial, ça devient le sujet de son édito ! » Comment ne pas évoquer ce que des centaines de milliers de clients subissent chaque jour ? Et surtout, comment ne pas remarquer que l’usager râleur français se la met en sourdine, ce dont peut se féliciter à tort Jean-Pierre Farandou, le successeur du calamiteux Guillaume Pepy en 2019 à la tête du grand corps (de fer) malade ?

Alors que les gilets jaunes se sont mobilisés pour des augmentations du prix de l’essence bien moindres que les plus de 2 euros le litre constatés désormais, le voyageur SNCF retardé, annulé, débarqué, parfois blessé ou tué (actualité du procès de la catastrophe de Brétigny-sur-Orge) se tient coi – au moins sur la ligne que j’emprunte. On lui a permis de retirer son masque, mais il ne bronche pas à l’annonce d’un incident qui le cloue en gare ou en « pleine voie », comme disent les conducteurs. Comme si la pandémie, la guerre aux portes, l’atteinte au pouvoir d’achat rendaient le·la Français·e silencieux·se. On ploie le dos ? On est résigné ? On n’a même plus l’énergie de manifester son mécontentement ? Le temps des vociférations dans les rames à chaque fois qu’un train restait à quai semble tout simplement terminé. Il est vrai, comme nous le mentionnons ici (dernier article) qu’il n’existe pas (encore) de ministère des Transports dans le gouvernement Macron II…

Dans le train immobile d’une motrice en panne, je lis justement l’un des derniers livres du Japonais Haruki Murakami, L’incolore Tsukuru Tazaki, un énième chef-d’œuvre de l’auteur de la trilogie des 1Q84. Tsukuru est un jeune ingénieur passionné par la construction et l’aménagement des gares. Au pays du Soleil levant où les cheminots présentent leurs excuses aux voyageurs pour une minute de retard, le personnage du romancier « aimait contempler la gare de Shinjuku et en particulier les trains du réseau national Japan Railways […] L’express ralentit et accoste. Les portes s’ouvrent, les voyageurs descendent les uns après les autres […] Il ressent de la fierté en constatant que le train arrive ou part exactement à l’heure, sans encombre, même si sa société n’est pas responsable de cette gare. L’équipe de nettoyage se précipite dans les wagons, débarrasse les déchets, nettoie et rafraîchit les sièges. Le personnel roulant, portant uniforme et casquette, se dépêche de rejoindre son poste et s’affaire pour le prochain départ […] Partout dans le monde, les gares étaient sans doute gérées et organisées de la même manière. Avec le même professionnalisme, la même rigueur, la même précision. »

Pas de doute, Murakami n’a jamais pris le train en France.

Le doyen de la tribu. Ai connu la composition chaude avant de créer la 1re revue consacrée au Macintosh d'Apple (1985). Passé mon temps à créer ou reformuler des magazines, à écrire des livres et à en traduire d'autres. Ai enseigné le journalisme. Professe l'écriture inclusive à la grande fureur des tout contre. Observateur des mœurs politiques et du devenir d'un monde entré dans le grand réchauffement...

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