Cette France qui oublie de se botter le c…

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La crise économique, la fermeture forcée des commerces, les défis du futur proche devraient nous stimuler. Pourtant, une part de nos réseaux commerciaux et de nos services administratifs se complaisent dans une paresse incompatible avec le redressement.

Olivier Magnan, rédacteur en chef

Nos commerçants subissent depuis mars 2020 la traversée d’un sacré tunnel. On a beau régulièrement voir de la lumière à sa sortie, les « non essentiels » n’en sortiront pas tous indemnes. Loin de là. Pourtant, certaines attitudes, de la part des gérants, propriétaires, dirigeants des réputés « essentiels » me plongent toujours dans la perplexité. Tout se passe pour certains privilégiés restés accessibles au public comme si le sens même du commerce, le service rendu au client, n’entraient pas dans leur préoccupation. Combien de fois vous êtes-vous dit que, contrairement à l’adage, vous n’étiez, dans certains magasins, à défaut d’être roi ou reine, pas même bienvenu·e ?

Le mauvais accueil m’avait valu, dans cet éditorial du 5 janvier 2021, de souligner l’attitude carrément hostile de certains commerces. Une sorte de revanche inavouée bien mal venue contre le chaland.

Mais je constate qu’il y a pire : la complaisance dans l’acquis, le refus de la remise en cause ou l’absence de volonté de faire feu de tout bois, dès lors que l’on bénéficie d’une autorisation de vente.

Un nombre époustouflant de commerçant·es se singularisent par des attitudes surprenantes d’anti-vente. Il s’agit d’un trait très français qui surprend, en mal, nombre de visiteurs étrangers, notamment les voyageurs des pays anglo-américains chez lesquels le service, l’accueil font partie du b.a.-ba des métiers de la vente. Aux États-Unis, notamment, tout est bon pour le business, à commencer par l’absolue exigence de satisfaire le sacro-saint customer. Tant que vous entrez dans une demande à satisfaire, vous aurez face à vous des vendeur·ses proactif·ves, à l’écoute, dont le pari est que vous repartiez avec l’objet ou le service demandé. Même un GAFA comme Amazon se plie d’autant plus en quatre que la crise le sert et lui donne l’avantage inouï de vendre toujours plus. Ce n’est pas assez l’état d’esprit d’une part des boutiquiers et des plates-formes de vente français qui partent du principe que si vous n’êtes pas content·e, c’est votre affaire. Ou que si la crise leur procure des avantages, il ne faut surtout pas les maximiser.

Dans mon entourage quotidien, je vis des exemples chaque jour. Vous aussi. Un certain vendeur de laines de loisir très connu pour son offre en ligne, dont le nom évoque une gardienne de mouton, réalise des bénéfices à proportion de la résidence à domicile forcée de millions de tricoteuses. Or rien n’a été fait pour améliorer la procédure d’avant-crise : des heures d’attente au téléphone, des délais d’acheminement doublés, une unique experte en tricot en vacances une semaine d’affilée. L’entreprise aurait pu en profiter pour augmenter encore ses résultats : elle préfère laisser jouer la saturation de ses services. N’importe quel spécialiste du marketing sait combien cette facilité à la française aura un impact négatif par la suite.

Pareille attitude dans certaines agences immobilières : des agents en congé, des portes fermées quand un surcroît d’acheteur·ses cherchent un autre logement en vue des confinements futurs.

Un autre exemple : les chocolatiers d’une ville de province tous fermés le Lundi de Pâques parce qu’il s’agit de leur jour de fermeture !

Les commerçants ne sont pas les seuls à afficher tant de légèreté : cette école municipale de loisirs de Beauvais dont la direction cadenasse les portes aux adhérents d’ordinaire accueillis dans de vastes salles, qui se sont acquittés de leur cotisation annuelle et qui, face aux demandes de remboursement, oppose cette note circulaire inique qui dit en substance : « Vous vous êtes inscrit·es en période de pandémie, à vous d’en subir les conséquences… »

Ce genre de « vécu », je sais que tous les Français·es le connaissent partout dans le pays. Au-delà des petites arrogances et des paresses commerciales, c’est le reflet de l’état d’esprit d’un pays, et c’est inquiétant. Qu’il s’agisse de mollesses administratives que la crise a mises en évidence ou de train-train commercial incapable de se remettre en cause, la start-up nation chère à qui vous savez montre trop sa tendance latine à ne pas penser relance, dynamique, entreprise, imagination, rebond, opportunisme. À l’inverse, des restaurateurs et des hôteliers, privés, eux, d’activité, multiplient les initiatives et réinventent une façon de commercer, pour, entre autres, conserver leur personnel. Les privilégiés pourraient, devraient, ne pas insulter leur chance. Il est des pays vieillissants qui devraient se botter le c…

Olivier Magnan

Le doyen de la tribu. Ai connu la composition chaude avant de créer la 1re revue consacrée au Macintosh d'Apple (1985). Passé mon temps à créer ou reformuler des magazines, à écrire des livres et à en traduire d'autres. Ai enseigné le journalisme. Professe l'écriture inclusive à la grande fureur des tout contre. Observateur des mœurs politiques et du devenir d'un monde entré dans le grand réchauffement...

2 Commentaires

  1. Monsieur Magnan,
    Lumineux, c’est un diagnostic tout à fait objectif que je partage.
    C’est rageant, et en même temps, ça ne me surprend qu’à moitié. On est nombreux, dès avant la crise sanitaire, à s’être sentis presque de trop en entrant dans un café, ou dans une boutique, tant on tarde à nous servir, et même à nous saluer.
    Pendant le confinement des magasins qui faisaient « relais colis » étaient fermés et injoignables pendant plus d’un mois. Et pourtant ils travaillaient avec de gros opérateurs de livraison comme Relay colis…Il était impossible de récupérer sa commande.
    Souvenez-vous que les bureaux de Poste étaient fermés, alors que la Poste a le monopole du courrier.Les cafés tabac n’avaient plus de timbres… et pour acheter un timbre en ligne avec La Poste, il faut créer un compte et remplir une fiche de renseignements un peu trop complète. Non merci, j’ai renoncé.
    Merci M. Magnan, de dire les maux de notre France , de secouer le cocotier.

    • Je crois que nous avons tous eu affaire à la « désinvolture » de certains commerçants et services français. Il est de bon ton de ne jamais en parler, mais je pense que dans le concert des nations « commerçantes », nous avons encore des leçons à apprendre (souvenons-nous de l’image que renvoyait au visiteur étranger les taxis français) ! « Dire les maux », comme vous le dites, vise à en prendre conscience pour les atténuer. Merci pour votre réaction.

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