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À 28 ans, Agathe Monpays prendra les rênes de Leroy Merlin France dès le 1er septembre. Une success story qui fait parler… Et, paradoxalement, bien plus qu’elle ne devrait.
La France a un problème avec la réussite, et ce n’est hélas sans doute pas nouveau. Mais avec l’affaire Agathe Monpays, c’est à se demander si elle n’a pas non plus une dent contre la méritocratie. N’est-ce pas regrettable que l’on s’’étonne, voire s’interroge, encore en 2023, qu’une femme – d’autant plus très jeune – puisse accéder à des postes à très hautes responsabilités ?
Très vite après l’annonce de l’heureuse nouvelle, le parcours brillant d’Agathe Monpays a viré au soupçon de népotisme. La dirigeante serait en fait Agathe Monpays Mulliez, une fausse information relayée par nombre d’internautes sur Twitter, particulièrement enthousiastes à l’idée de descendre la carrière d’une jeune femme. Parce que femme. Parce que jeune. Ils ont en réalité interprété à leur manière le titre d’un article du Figaro qui décrivait Agathe Monpays comme « un pur produit de la famille Mulliez ».
Mais si on lisait au-delà du titre, on comprendrait assez vite qu’Agathe Monpays a simplement réalisé jusqu’alors l’ensemble de sa carrière au sein des entreprises Mulliez : une alternance chez HappyChic (Bizzbee, Brice, Jules, Pimkie, etc), un poste de chef de secteur à Valenciennes pour le compte de Leroy Merlin, avant de diriger un magasin à Tourcoing. En 2022, Agathe Monpays prend les manettes des branches grecque et chypriote de l’enseigne de bricolage. Travailler à chaque fois pour le même actionnaire constitue-t-il un délit ?
Plus grave, la presse étrangère a repris ces fake news, Agathe Monpays serait la fille de « Patrick Mulliez et Sylvie Monpays », et/ou la compagne de « Nicolas Mulliez ». Bref, dans les deux cas, c’est absolument faux. Comment est-ce possible que des médias puissent reprendre sans se poser de questions les rumeurs absurdes que l’on peut lire sur les réseaux sociaux… à se demander si ces articles n’ont pas été rédigés par ChatGPT.
Cette affaire en dit long. Puisqu’elle montre à quel point certains esprits ont tendance à opérer des raccourcis pour ne pas reconnaître toute la force d’un parcours d’excellence. Se sont-ils penchés un instant sur les qualités et compétences d’Agathe Monpays ? Sur son travail ? À en croire Libération, ses parents et compagnon exerceraient des professions qui s’apparentent davantage à la classe moyenne plutôt qu’à l’élite économique du pays. On enquête, comme si l’on avait besoin de légitimer cette nomination, d’en faire des tonnes pour la faire accepter. Non, pour certains, une jeune femme, pas forcément riche, ne peut pas réussir. Qui sait si l’on ne reproche pas non plus à Agathe Monpays de prendre la tête d’une enseigne perçue comme, avec le bricolage, destinée à une clientèle masculine ? Les réseaux sociaux confirment que les penchants sexistes n’ont bel et bien pas disparu.

Les médias, dans leur quasi intégralité, ont annoncé la nouvelle comme un événement. Quelque chose de spectaculaire, qui relève presque de l’irrationnel. Oui le parcours et le succès d’Agathe Monpays doivent servir d’exemple pour toutes les femmes, encore trop nombreuses, qui hésitent entre carrière et vie de famille – car oui la jeune femme est aussi maman. Mais j’espère qu’à l’avenir ce type de « success story » nous étonnera de moins en moins. Que l’arrivée d’une femme de 28 ans à la tête d’une enseigne aussi appréciée par les Français que Leroy Merlin soit traitée médiatiquement comme une nouvelle lambda, et non comme un retentissement médiatique d’ampleur – aussi positif soit-il. Dès lors, nous aurons réellement fait un pas gigantesque en termes d’égalité de genre, et d’âge, dans le monde professionnel. Le talent n’a ni genre ni âge.