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Alors que l’agence de notation Standard & Poor’s vient de confirmer la note de la France (AA), faisons un point sur la dette publique.
En cas de crise financière, notre pays paraît vulnérable et pourrait susciter l’ire des marchés. Le redressement de nos finances publiques semble tenir de l’urgence.
Un ministre de l’Économie ne peut pas dire la vérité. Il est contraint d’enjoliver la situation. Ses réactions, scrutées par les marchés et les agences, pourraient provoquer la pagaille. S’il doit surtout éviter le « ne paniquez pas », qui provoquerait aussitôt l’effet inverse, il doit laisser entendre que la trajectoire est sérieuse, qu’il n’y a pas de risque tangible, que tout est sous contrôle. On se souvient de Christine Lagarde, brillante dans l’exercice, qui réunissait les journalistes de la presse économique dans son bureau de Bercy, au cœur de la crise de 2008. Grand sourire, thé, petits gâteaux… Canal+ ira jusqu’à la parodier en interprète de « Tout va très bien, madame la Marquise ».
En cas de crise, la France est vulnérable
Bruno Le Maire doit jouer, aujourd’hui, sur cette même méthode Coué. Le 5 mai, invité de C à vous, il fanfaronna : « Standard & Poor’s envoie un signal positif en maintenant notre notation ». Tel un mauvais élève qui vient d’échapper in extremis à une punition, il poursuit : « Nous devons continuer le redressement de nos finances publiques ». Promis juré, la France va continuer de se réformer, le quinquennat d’Emmanuel Macron ne sombrera pas dans l’apathie.
Pourtant, la situation économique et financière de la France ne se prête guère aux satisfécits. Alors que les marchés redoutent une possible crise au mois d’août, ce qui accentuerait probablement la remontée des taux d’intérêt, notre dette dépasse désormais les 3 000 milliards d’euros. Et nous empruntons sur 10 ans à plus de 3 %. Il devient ainsi de plus en plus cher, lourd et prohibitif de lever de la dette.
En Europe, notre situation n’est pas bonne. Notre taux d’endettement par rapport au PIB est de 111,6 % au premier trimestre 2023. Bien au-delà de la moyenne de l’UE (84 %). Si des pays comme la Grèce (171,3 %), l’Italie (144,4 %), le Portugal (113,9) et l’Espagne (113,2 %) font moins bien que nous ; il faut noter qu’ils sont tous engagés sur une trajectoire de redressement budgétaire. Ce qui n’est toujours pas notre cas. Leurs déficits sont le fruit de dettes bien antérieures. Ainsi, ces pays du Sud de l’Europe font preuve d’une bonne capacité de désendettement (-23,3 points de pourcentage pour la Grèce, -5,5 pour l’Italie, -11,5 pour le Portugal et -5 pour l’Espagne).
Concrètement, quels sont les risques ?
On parle beaucoup de la dette. Pourtant, ce sujet ne provoque souvent que de vagues haussements d’épaules. Les fragilités de la dette française ont pourtant été clairement explicitées par un rapport éponyme de la Fondation iFRAP, daté de 2020. Agnès Verdier-Molinié, qui s’entretenait récemment avec ÉcoRéseau Business, revenait sur ce rapport qui suscita l’inquiétude de Bercy. Au point que la chercheuse fut reçue par les hommes en gris, désireux d’en savoir davantage…
Tout d’abord, il y a une opacité complète sur les détenteurs de la dette française. Malgré la demande récente d’un journaliste de TV5 Monde, Bruno Le Maire n’a pas voulu répondre à cette question pourtant stratégique. Ensuite, il y a le fait que 76 % de la dette négociable de l’État arrive à échéance d’ici à 2030.
Non seulement notre pays a fait le choix de s’endetter massivement auprès d’acteurs étrangers (au contraire du Japon ou de l’Italie par exemple) mais de surcroît, nous avons privilégié des emprunts remboursables à court terme. Cela paraissait sans doute attractif lorsque les taux étaient à zéro, mais désormais, le risque d’un « mur de la dette » pointe à l’horizon.
Le scénario catastrophe
« Mur de la dette ». L’expression fait peur. Mais elle correspond à une possibilité. Alors que la charge de la dette est déjà le deuxième budget de l’État (60,2 milliards d’euros) – davantage que le budget des Armées – il n’est pas impossible qu’elle devienne un jour le premier. Cette situation absurde, signal d’une mauvaise gestion et d’une perte de souveraineté, serait déjà un désastre en elle-même. Mais, si une crise financière survenait, il est probable que les taux grimperaient soudainement. Alors, la tenaille se refermerait sur notre pays.

L’essayiste et financier Charles Gave, dans une note récente à l’Institut des Libertés, sonnait le tocsin. « La ligne rouge va monter de 1,66 % à 3 %, 4 %, 5%, et très, très vite […] Nous sommes donc rentrés dans la période mortelle où le service de la dette se met à monter de façon exponentielle […] Traduction : nos besoins de financement (déficits intérieurs + déficits extérieurs) vont passer la barre des 10 % du PIB dans les mois qui viennent, niveau à partir duquel il est d’usage de faire appel au FMI ». Dans cette situation, la France n’aurait plus qu’à couper aveuglément dans les dépenses et dans les salaires de la fonction publique… Et si le pire n’est jamais certain, il serait criminel de ne pas chercher à l’éviter.