Mario Draghi, et pourtant il gouverne

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Président du conseil italien depuis le 13 février 2021, l’ancien banquier central dirige un « gouvernement d’union nationale » avec une méthode pour le moins originale : le presque-silence.

Il a fait de l’absence la présence. Cloîtré dans les salons marbrés du Palais Chigi, au cœur de Rome, Mario Draghi dirige l’Italie sur l’air de l’opacité. Rien ne perce. Portes closes. Depuis sa nomination, il n’a accordé aucune interview télévisée, ne se déplace « sur le terrain » qu’avec la plus grande parcimonie, et ne s’est toujours pas inscrit sur Twitter. Pour communiquer, il préfère la bonne vieille conférence de presse. Exercice très institutionnel (et assez barbant) qu’il a remis au goût du jour, une fois par mois, sans fioritures. Interventions professorales où les mots sont pesés au trébuchet. Ni artifices ni effet de manche. Petit côté années cinquante.

Méthode bien rodée : il fonctionnait déjà ainsi lorsqu’il était président de la Banque centrale européenne (BCE). Avare de paroles, nous pourrions presque dire qu’il a, en 2011, sauvé l’euro avec trois mots : « Whatever It Takes. » Prélude du « quoi qu’il en coûte » repris plus tard par Emmanuel Macron. Draghi, par cette formule un brin hollywoodienne, indiquait à la finance mondiale que la BCE était prête à des mesures « anti-conventionnelles ». En bref, un vaste programme de création monétaire et de rachat des dettes souveraines. L’effet s’avère immédiat. L’Espagne et l’Italie, alors attaquées par les marchés, sont laissées tranquilles.

Draghi donnait du temps au temps. Un simple sursis ? Quoi qu’il advienne, Draghi accède alors à un rang prestigieux, la presse économique croit voir en lui « le sauveur de l’euro » et le taxe carrément du sobriquet de « Super Mario ». N’en jetez plus !

Des tours de Francfort aux palais romains

En 2019, après un septennat, il laisse les clefs de la BCE à Christine Lagarde. Puis disparaît dans les brumes. Tout le monde l’imagine plus ou moins à la retraite. Son ombre plane, lointaine. Les paroissiens du village où il vit, dans la région du Latium, le croisent parfois à la messe. Il y va davantage par habitude que par foi incandescente.

Pendant ce temps, l’Italie s’embourbe dans un étrange magma politique. Le Mouvement 5 étoiles, parti dégagiste fondé par un humoriste, et dont le slogan élégant est « Vaffanculo » – nous ne traduirons pas – arrive en tête des élections législatives de 2018. Pour gouverner, il décide de s’allier à la Ligue de Matteo Salvini, mouvement cousin du Rassemblement National français. La coalition – de bric et de broc – finit par sauter. Le « M5É » se tourne alors vers le Parti démocrate (à mi-chemin, lui, entre le PS et le MoDem). Mais là encore, ça ne va pas, le gouvernement implose au bout d’une petite année.

L’Italie se retrouve bloquée, ingouvernable. Aucune majorité n’est possible. Le Président de la République, le sicilien Sergio Mattarella, se creuse la tête. Son rôle, essentiellement honorifique, devient central. Il lui faut trouver quelqu’un capable de rassembler pour gouverner. Hasardeux.

Président du Conseil des ministres d’Italie

Un beau jour, il convoque Mario Draghi dans l’immense palais du Quirinal (ancien siège de la Papauté). Bruxelles, Berlin et Paris lui soufflent ce nom depuis longtemps. Ingérences habituelles et même historiques en Italie. Mattarella propose à Draghi de composer le gouvernement. L’ancien banquier en accepte l’augure et sacrifie sa jeune retraite. Il se lance aussitôt dans mille tractations et propose à l’ensemble des forces politiques un « gouvernement d’union nationale ».

Jamais élu, même dans un conseil de quartier, Draghi se retrouve à la tête d’une coalition qui rassemble… 86,5 % des sièges à la Chambre des députés. Normal, puisque tous les partis sont au gouvernement, à l’exception de Fratelli d’Italia, formation nationaliste, qui se retrouve seule force d’opposition.

Ainsi, le gouvernement Draghi ne manque pas de variété. On y trouve des  communistes repentis, des sociaux-démocrates, des amis de Matteo Renzi, une sacrée pléiade de centristes, des berlusconistes convaincus, des proches de Matteo Salvini, des nationalistes fougueux, des régionalistes du Sud, des autonomistes du Nord, des indépendantistes tyroliens… Et des technocrates à la pelle !

Un peu comme si nous avions en France un gouvernement où se mélangeraient les acronymes : LREM, LFI, RN, LR, EELV, PS, PC… Le tout dirigé par Christine Lagarde ! Politique fiction ? En Italie, Draghi semble parvenir à rassembler « les deux bouts de l’omelette ». Il meuble en attendant mieux. Tiendra-t-il jusqu’aux élections de l’an prochain ?

Draghi veut remettre l’Italie sur la carte de l’Europe

Cette semaine, lors du G7 du château d’Elmau, au cœur de la Bavière, là encore Draghi fuit la mise en scène. Le côté petite tape dans le dos et clin d’œil à la caméra n’est décidément pas pour lui. Tout juste a-t-il accepté de se présenter en bras de chemise, comme les autres, pour donner un air plus décontracté à ce séminaire des gouvernants occidentaux.

Il a traversé les Alpes avec des propositions. D’abord, celle de donner vie à un serpent de mer. Créer une association des pays acheteurs de pétrole. L’OPEP à l’envers. Belle idée pour contrebalancer des prix orphelins de l’offre et la demande. Comme on dit en la circonstance, il a reçu un « accord de principe » de ses collègues. Qui vivra verra.

Sur le plan européen, Draghi s’en sort bien. Il navigue allégrement dans les couloirs de Bruxelles. Son travail dans la coulisse semble payer. Dans le train pour Kiev, ils étaient trois. Macron, Scholz et lui. Draghi est le premier à enfoncer un coin dans le « couple franco-allemand » qui agace toute l’Europe – et d’abord l’Italie. Du duo au trio ? Emmanuel Macron aimerait bien. Il pousse depuis 2017 la montée en gamme de l’Italie, alliée utile à la France pour contrer certains diktats berlinois.

Entre Macron et Draghi règne quelque chose qui s’apparente à l’amicale des anciens banquiers d’affaires. Le premier chez Rothschild, le second chez Goldman Sachs. Autre point commun : leur éducation chez les jésuites. Draghi semble en avoir gardé l’austérité et la réserve. Il est resté fidèle à la devise de Saint-François-de-Sales : « Le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien. » Emmanuel Macron, moins.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.