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Carrefour célèbre en grande pompe le soixantième anniversaire de l’implantation de son premier « hyper » à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), en 1963.
Un bouleversement civilisationnel. L’ouverture du premier hypermarché fut le prélude à l’abandon d’un mode de vie, au profit de l’entrée dans le monde de la consommation. Revivons ce moment fondateur de la grande distribution.
15 juin 1963. La France vit le début des « Trente Glorieuses ». Si dans les campagnes et les cités ouvrières, la vie n’est pas toujours facile, chacun croit dur comme fer à l’idée de progrès. « Mes enfants auront une meilleure vie que la mienne », pense secrètement une génération qui fit face aux deux guerres mondiales ; désormais plongée dans une époque nouvelle, aux mœurs inédites.
Au pouvoir depuis 1958, le Général de Gaulle impose sa marque sur la scène internationale et tire la France du déclin. Aux États-Unis, un jeune président nommé Kennedy, met la dernière main au discours qu’il prononcera à Berlin, le 26 juin, devant le mur de la honte. « Ich bin ein Berliner ». La radio joue du Aznavour, Sylvie Vartan, Claude François.
Un magasin « où tout est sous le même toit »
Dans l’Essonne, à Sainte-Geneviève-des-Bois, la population locale s’achemine vers un lieu d’un nouveau genre… Cela s’appelle « Carrefour ». Tout le monde ne parle que de ça. Un magasin « où tout est sous le même toit ». Concept américain. Son fondateur, Marcel Fournier, croise les doigts. Lui-même semble dubitatif : « Soit je suis ruiné, soit je suis riche ».
Au programme du magasin ? Un choix conséquent, une diversité d’enseignes, la sacralisation de la voiture, le marketing et le merchandising… Dans les rayons ripolinés, il faut voir les premiers clients, qui tentent de pousser l’étrange chariot nommé caddie. Les ménagères sont ébahies, stupéfaites par ce temple dédié à la consommation. Pour les Français, avoir le choix entre huit gammes d’un même produit paraît irréel. Dire qu’il y a quinze ans encore, il fallait conserver précieusement ses tickets de rationnement pour aller acheter du lait ou du beurre ! Les privations semblent bien loin.
Un temple dédié au veau d’or
Un enfant, interloqué, se gratte la tête devant les bouteilles d’eau. Mais à quoi peut-bien servir d’acheter en bouteille ce qui sort déjà du robinet ? Plus loin, un vieillard grommelle, pipe au bec : « Ça ne durera pas ! ».
Dans un coin, avec sa mèche blonde rebelle, l’écrivain Françoise Sagan grille une cigarette. La sulfureuse observe. Elle a été « recrutée » pour donner ses impressions sur cette expérience sociologique alors pilote. L’auteur de Bonjour Tristesse, plus habituée aux tablées du Flore qu’aux zones pavillonnaires de la lointaine banlieue, ressemble à une poule devant un couteau. Plus irréel encore : un curé vient de bénir les lieux. Il sera entendu !
Ce qui attire, ce sont les prix. 15 à 20 % moins chers qu’ailleurs… 5 000 références sont proposées ! En plus, tout est en libre-service, chacun se sert avant d’aller payer auprès des caissières, qui essuient les plâtres d’un tout nouveau métier. Une dame lance à l’ORTF : « C’est drôlement pratique ! ». Carrefour doit fermer ses portes plus tôt que prévu en raison de l’affluence. Pari gagné.
Le début d’une épopée
Les badauds avaient-ils conscience, ce jour-là, du basculement qui s’opérait ? La France, vidée de ses épiciers et de ses petits commerçants, se projetait à vitesse grand V vers l’ère des hypers. Dès 1970, Carrefour entre à la Bourse de Paris. D’initiative naissante, elle s’invente grand groupe, jusqu’à devenir un géant international. En parallèle, toujours en 1964, l’épicier breton Édouard Leclerc ouvre à Landerneau un hypermarché du même genre. En 1969, confronté à une dissidence de ses franchisés, il insiste impuissant à la création d’Intermarché. Dans le Nord, Auchan ouvre son premier « hyper » à Roncq, en 1967.
Aujourd’hui, la France est devenue le pays de la grande distribution. Présent auprès des salariés du Carrefour de Sainte-Geneviève-des-Bois, Alexandre Bompard, PDG du groupe, se félicite. « Il faut imaginer il y a 60 ans ce magasin pris d’assaut car tout est sous le même toit et que c’était des prix jamais vus… On est allé exporter cette promesse originelle partout dans le monde ». Champagne !
Interrogée par Le Web Grande Conso, une cliente de la première heure se souvient. Oui, « Mamie Dauvers » était là, ce jour où la France bascula sans le savoir dans l’ère des hypers. Au milieu des rayons, c’est l’émerveillement pour cette infirmière, venue visiter cette Mecque de la conso’ avec des collègues. Son premier achat ? « Faut vraiment le dire ? Je crois bien que c’était de la crème Mont Blanc au caramel, parce que j’adorais ça ! ».