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Quelles séquelles l’opinion française et européenne gardera-t-elle de la guerre sans nom qui frappe l’Ukraine après attentats terroristes et crise sanitaire ? Le syndrome sécuritaire global pour toute l’UE. Jusqu’à infléchir certaines positions eurosceptiques, voire offrir un nouveau souffle au projet de souveraineté européenne ?
Traditionnellement eurosceptiques, les Français·es pourraient-ils·elles se convertir en européistes de la première heure face à la guerre russe en Ukraine ? Sans doute. Quitte à susciter à terme plus d’union à Bruxelles, entre des pays membres traditionnellement divisés, mais déjà réunis à Versailles les 10 et 11 mars pour un sommet « du sursaut européen ! », l’expression de l’Élysée. Exit les échanges sur « le nouveau modèle européen de croissance » qui devait être au programme d’un tel congrès dans le cadre de la présidence française de l’UE. Place aux prémices d’une défense européenne autour d’une stratégie militaire commune ! Le choc, l’inquiétude ont tellement gagné les Français·es (88 % !) – comme tous les Européen·nes – face à cette nouvelle menace (nucléaire) incarnée par Vladimir Poutine que cette menace même impacterait même pour 38 % d’entre eux·elles leur vote à la présidentielle française, à en croire l’enquête d’opinion 2022 Elabe/BFMTV.
Changement d’époque
« Un tournant dans l’histoire de l’Europe et de notre pays. » Emmanuel Macron, en tête des sondages du prochain scrutin, avait ainsi commenté l’invasion russe de l’Ukraine. Il avait même évoqué un « changement d’époque », « une rupture pour notre continent et nos générations » aux « conséquences durables, profondes sur nos vies ». Car au-delà de sa dimension régionale, ce conflit – distant de plus de 2 000 kilomètres de la France (devrait-on écrire « à seulement 2 000 kilomètres… » ? – « s’impose surtout comme un test en matière de souveraineté et de sécurité collective pour les Européens, et donc, pour nous les Français », confirme Thierry Chopin, politologue et conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors. « Car en effet, comment réagirons-nous si après l’Ukraine, la Russie menait une politique expansionniste à l’encontre d’un des pays baltes par exemple, membre de l’Otan et de l’UE ? questionne l’expert. Serons-nous alors prêts à prendre le risque de pertes humaines sur place pour défendre les frontières collectives de l’Union et nos valeurs ? » Cette idée de « construire une souveraineté réelle pour l’Europe », notamment promue par Emmanuel Macron dès son élection en 2017, trouve, aujourd’hui, « une nouvelle justification plus concrète encore. Avec l’invasion russe, tout comme avec la crise de covid-19 », estime le politologue. « Dans l’histoire de l’Union, dit-il, ce sont souvent des chocs exogènes qui se sont imposés comme des facteurs de cohésion entre Européens : de la décolonisation à la crise de Suez jusqu’à la chute du mur de Berlin ou encore l’effondrement de l’URSS. Tout cela se confirme encore aujourd’hui. »
« Relance, puissance, appartenance »
Alors que seuls 36 % des Français·es affirmaient encore fin 2021 avoir confiance dans l’UE (contre 49 % à l’échelle des pays membres), tandis que pour plus d’un·e sur deux, cette même Europe leur semblait « éloignée » et « inefficace » (étude Kantar pour le Cevipof* et l’Institut Jacques Delors), « sous l’effet de la crise sanitaire, la confiance en l’Union s’est renforcée auprès des Européens. Et même parmi les Français·es, malgré une défiance encore forte de leur part », poursuit Thierry Chopin. Et pour cause, une telle pandémie a pu aboutir à un événement précurseur : l’adoption du fameux plan de relance voulu par la France et l’Italie, et financé par un emprunt finalement commun aux pays membres, malgré les réticences initiales avec l’Allemagne. Un accord de 750 milliards d’euros de dettes mutualisées ! L’atteinte d’un tel consensus confirme aux yeux de Thierry Chopin que « l’Europe reste plus forte lorsqu’elle apporte une réponse commune aux crises et aux incertitudes… »
« Relance, puissance, appartenance. » Si telle est aujourd’hui le triptyque des trois priorités phares de l’actuelle présidence française de l’UE (PFUE), « c’est donc bien le volet “puissance” qui s’impose à l’aune de la guerre en Ukraine. Tant celle-ci induit une demande croissante de l’opinion d’un renforcement de la dimension géopolitique de l’Union », analyse le politologue, précisément président du comité de réflexion et de propositions pour la PFUE et coordinateur du rapport Une Europe pour aujourd’hui et pour demain remis à cet effet au secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Clément Beaune. Et le très récent sondage du European Council on Foreign Relations (ECFR) ne dit pas autre chose : une majorité d’Européen·nes considèrent qu’une plus grande coopération entre pays membres est d’abord nécessaire pour « garantir la sécurité aux frontières », d’une part, et « faire face aux futures pandémies », d’autre part. L’on est moins unanime sur le rôle de l’UE pour « améliorer les conditions de vie des citoyens »…
Des défis régaliens
Face à la dégradation de la situation sécuritaire en Europe en l’espace de quelques années – qui « remonte déjà aux attentats terroristes et la crise migratoire » –, « les défis qui se posent aux 27 États membres s’avèrent dès lors essentiellement régaliens », estime le politologue. Reste à savoir si la crainte d’une guerre désormais totale – à nouveau envisageable pour nous, Occidentaux – pourrait marquer les débuts d’un véritable fédéralisme européen… « Pas si sûr, pense Thierry Chopin. Il faudrait déjà une unanimité difficile à trouver autour de l’idée d’un embargo européen sur les importations de gaz russe. Preuve des dissensions qui perdurent notamment entre pays membres sur la question clé de l’énergie : d’un côté, la France, prête à durcir les sanctions contre la Russie, de l’autre, l’Allemagne bien plus dépendante de Moscou en la matière. » À défaut donc d’un tel plan 100 % fédérateur à l’œuvre pour l’Europe, c’est un mouvement strictement « macronien » qui semble se profiler à l’horizon… De quoi peut-être booster la réélection du président « jupitérien » ce mois-ci. Mais sans guère asseoir ses velléités de leadership sur une Europe souveraine.