Russie Moscou économie résistance

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Après une récession fixée à -2,2 % en 2022, le FMI prévoit pour la Russie le retour à une (faible) croissance de +0,3 % en 2023. Et même +2,1 % en 2024. Soit davantage que dans la zone euro…

Comment expliquer l’apparente résistance russe aux sanctions américano-européennes ? Alors que l’affrontement économique est au cœur de la guerre-monde, le tigre russe tient le choc et se prépare même à rebondir…

C’était le 1er mars 2022. Au micro de France Info, Bruno Le Maire tonnait : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe. » Cette phrase était-elle la marque d’une nuit trop courte, d’un moment d’inattention, ou bien un élément de langage préparé par les hommes de Bercy ? Une chose est certaine, l’avertissement n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.

Quelques heures plus tard, à l’autre bout de l’Europe, l’ex-président russe, Dimitri Medvedev, répondait sèchement : « Un ministre français a dit aujourd’hui qu’ils nous avaient déclaré la guerre économique. Faites attention à votre discours, messieurs ! Et n’oubliez pas que les guerres économiques dans l’histoire de l’humanité se sont souvent transformées en guerres réelles ».

L’effondrement russe n’a pas eu lieu

Guerre économique ? C’est bien le mot. Les États-Unis et l’UE, pour répondre aux bombes et aux canons, espéraient condamner la Russie à la déroute grâce à la plus grande armada de sanctions économiques jamais déployée. Depuis le 24 février 2022, neuf vagues de sanctions ont été déclenchées par le Conseil européen. Une dixième est maintenant en préparation. Mais un an après, il faut reconnaître que l’économie russe est tout sauf exsangue… Même pas mal ?

La stratégie de l’effondrement économique s’avère un fiasco. Et ce sont les Européens de l’Ouest qui paient souvent les pots cassés. Exemple avec Renault, qui a dû quitter en quelques semaines son deuxième marché après la France.

Pour le FMI, l’économie russe ne tombera pas plus bas et se prépare même à remonter la pente

Le FMI, peu suspect de « russophilie » constate la résilience slave. En 2022, la récession en Russie a été contenue à -2,22 %. L’institution de Washington prévoyait -8,5 % en mars dernier. Si les sanctions pèsent, elles n’entraînent donc pas la banqueroute annoncée. La situation, moins pire que prévu, devrait ainsi se stabiliser cette année avec une croissance, certes faible, de +0,3 %. Le FMI prévoit même, pour 2024, un rebond spectaculaire de +2,1 %. Bien davantage que les +1,6 % que l’on attend dans la zone euro… Et que dire du Royaume-Uni, qui semble englué dans une récession durable.

Comment expliquer cette « bonne » santé ? D’abord par l’action, spectaculaire mais efficace, de la Banque centrale russe. Sa présidente, Elvira Nabioullina, a su prendre les bonnes décisions au bon moment pour protéger le rouble des attaques des marchés. Après un retour de flamme inflationniste (+14 %) ; la crise semble se calmer pour 2023 (+5,9 % d’après la Banque mondiale). Un niveau moins élevé qu’en Angleterre là-encore, ou qu’en Pologne ou dans les États baltes.

Les Russes ont le sens du rebond

La Russie est également protégée par son très faible niveau d’endettement, qui ne représente que 20 % de son PIB (contre 140 % en France). Ensuite, les Russes ont depuis toujours l’habitude de la débrouille. Fidèle à la maxime shakespearienne, ce peuple « embrasse ce qu’il ne peut éviter » et fait contre mauvaise fortune bon cœur. Les premières sanctions, prises en 2014, après le retour de la Crimée dans le giron russe, ont été l’occasion pour le pays de développer une agriculture plus autonome. « Les Français ne veulent plus nous vendre de pommes ? Nous en produirons nous-mêmes ! », clamait alors le ministre de l’agriculture.

En mars 2022, les repreneurs russes du réseau McDonald’s se sont fendus d’une campagne de communication très ironique : « Nous aussi on sait couper du pain en deux. » L’enseigne prospère toujours autant dans les grandes métropoles russes, où une certaine jeunesse vient encore s’y restaurer – par nostalgie de l’Occident ?

Quant à « l’isolement » prévu par Washington et Bruxelles, il a du plomb dans l’aile. Si la Russie ne peut plus vraiment commercer avec l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest, elle conserve des accès partout ailleurs dans le monde. Certains pays jouent un rôle de zone tampon, Turquie en tête. « La Sublime Porte » n’a jamais aussi bien porté son nom. Pour certains produits de haute-valeur ajoutée comme les microprocesseurs ou l’appareillage aéronautique, la Russie peut ainsi s’équiper en passant par Ankara… ou Pékin.

Les immenses ressources du pays constituent un bouclier

La déstabilisation du marché mondial de l’énergie profite également à ce géant des hydrocarbures… En raison du boycott européen, les exportations gazières dégringolent de 25 %. Mais paradoxalement, l’envolée des prix fait que la Russie voit les revenus de la manne gazière progresser de 80 % en un an, selon Le Monde ! Que dire ensuite de la récolte de blé, la plus importante depuis des années…

Quant au pétrole russe, dont l’exportation vers l’UE est théoriquement interdite depuis le mois de décembre, la Russie parvient à manœuvrer. Aussi bien en Inde qu’au large des côtes marocaines, Moscou parvient à faire transiter son pétrole grâce à certaines manœuvres de contournement. Transfert de bateau à bateau, voyage sous pavillon inconnu…

Toutefois, c’est peut-être l’aspect des sanctions qui impacte le plus la Russie. Si le pays parvient à vendre son pétrole à d’autres nations, le prix du baril dit « Ural » a sévèrement décroché de celui du baril de Brent. Problématique, car les recettes pétrolières abondent en grande partie un fonds souverain destiné, notamment, à payer les retraites. La Commission européenne estime ainsi que la Russie perd 160 millions de dollars par jour avec cette mesure.

Emmanuel Todd analyse cette résistance

Emmanuel Todd, célèbre anthropologue, analysait à son tour la résilience économique russe, dans une entrevue au Figaro, parue le 12 janvier. « Personne n’avait prévu que l’économie russe tiendrait face à la puissance économique de l’Otan. Je crois que les Russes eux-mêmes ne l’avaient pas anticipé. »

Ce penseur de haut-vol, qui avait prédit l’effondrement du bloc soviétique avec quinze ans d’avance, poursuit son analyse. « Le PIB de la Russie et de la Biélorussie représente 3,3% du PIB occidental, pratiquement rien. On peut se demander comment ce PIB insignifiant peut faire face et continuer à produire des missiles. La raison en est que le PIB est une mesure fictive de la production. […] La guerre nous ramène à l’économie réelle, elle permet de comprendre ce qu’est la véritable richesse des nations, la capacité de production, et donc la capacité de guerre. Si on revient à des variables matérielles, on voit l’économie russe ».

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.