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« Mais enfin Sauvy, si j’y connaissais quelque chose, je ne serais pas socialiste ! », Léon Blum.

En 1936, tout juste investi président du Conseil, après la vague du Front populaire, Léon Blum recevait dans son bureau de Matignon l’économiste et démographe Alfred Sauvy. L’objectif pour le dirigeant socialiste : convaincre l’éminent scientifique de rejoindre son cabinet, afin d’éclairer les choix financiers du nouveau gouvernement. Sauvy ne se rua pas sur l’occasion… Hésitant, cet homme pourtant de gauche répondit : « Je ne sais pas si je vais accepter, tant à l’évidence vous ne connaissez rien à l’économie. » Superbe, Léon Blum répliquait aussitôt : « Mais enfin Sauvy, si j’y connaissais quelque chose, je ne serais pas socialiste ! ». Un trait d’humour ravageur qui ne fut pas tellement du goût de l’économiste, qui visiblement ce jour-là n’avait guère envie de faire de l’esprit. Il lançait une funeste prophétie : « Votre expérience socialiste durera deux ans. C’est en général ce que durent les expériences socialistes. »

Deux ans. Il avait visé juste. À la ferveur de l’été 36, où dans les usines et sur les chemins se mêlaient grèves, fêtes de villages et premiers départs en vacances, devait se succéder bien vite la morosité des temps quotidiens. Avec le Front populaire, les Français s’offraient quelques mois de rêves et d’allégresse. Bernanos l’écrivit un jour : « Les révolutions sont les vacances de la vie. » Ainsi, en 1938, la parenthèse Blum se refermait déjà. Il devait en rester de considérables acquis sociaux : la semaine de quarante heures, les congés payés, la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans… Autant de progrès qui semblaient alors tenir du lunaire. Mais tout de même, les considérables dépenses sociales, aussi indispensables qu’elles fussent, grevaient comme jamais les finances publiques. Blum partait avec le sentiment de l’inabouti. Édouard Daladier, centriste bourru, qu’on surnommait « le taureau du Vaucluse », lui succédait déjà. Retour à la réalité. Et bientôt à la guerre.

La Nupes, le choix d’une relance hétérodoxe

Cette « leçon de Blum », nous pourrions l’adresser, aujourd’hui encore, aux partisans de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). Tenants d’un programme à la dimension sociale très aboutie, les observateurs et commentateurs de tous poils doivent bien leur reconnaître une chose. Eux, à la différence des autres partis, tentent un véritable chiffrage. Comme aucun autre candidat, Jean-Luc Mélenchon s’est évertué à détailler très précisément les dépenses et les recettes de son projet – aujourd’hui repris en cœur par ses nouveaux alliés socialistes, communistes et écolos.

Un programme qui semble faire le pari des dépenses tous azimuts. On y trouve pêle-mêle la retraite à 60 ans, l’augmentation des dépenses publiques de 250 milliards d’euros, l’allocation étudiant de 1 063 euros par mois, les milliards considérables qu’il faut investir dans le « tournant écologique » (et non la transition – nuance subtile). La calculette chauffe ! Le tout est résumé par le mantra suivant : « Gouverner par les besoins ». Utile manière d’appréhender la chose… Figure rhétorique qui permet à Jean-Luc Mélenchon, lorsque les journalistes l’interrogent sur le montant faramineux de sa pléiade de mesures, d’aussitôt répondre : « Et alors, combien coûte le malheur ?! ». Vu sous cet angle aux accents hugoliens, toutes les dépenses deviennent immédiatement justifiables.

Mélenchon le dit lui-même : « Rembourser la dette n’est pas une proposition sérieuse »

Mais le réel, tôt ou tard, frappe à la porte. Emmanuel Macron, autre dépensier mais tout de même plus prudent, le constate à son tour. Les taux bas, qui sont la norme depuis le début des années 2010, enclenchent la remontée. Pour l’État, emprunter risque fort de redevenir demain un mode de vie très coûteux. De tout cela, Jean-Luc Mélenchon n’en n’a cure, puisqu’il propose de faire défaut à la signature française. Qu’à cela ne tienne ! Lui Premier ministre, on ne rembourse pas tout. D’un œil sourcilleux, chaque ligne serait renégociée. Bien la première fois qu’un emprunteur s’en irait faire la leçon à son créancier.

Caricature de son projet ? Assurément pas. Il l’écrivait lui-même dans une tribune à L’Opinion, en mars 2021. Son titre est on ne peut plus clair : « Rembourser la dette n’est pas une proposition sérieuse. » Jean-Luc Mélenchon pointe une juste absurdité : « Aux conditions actuelles, avec 1,5 % de hausse du PIB par an, il faudrait 248 ans pour finir de payer. Avec un excédent budgétaire annuel ? Il faudrait 270 ans, au prix d’un excédent annuel de 10 milliards d’euros. Comment obtenir un tel résultat ? Forcément par de nouvelles coupes dans les services publics et les allocations, d’une part, et des hausses d’impôts, d’autre part […] Il faut mettre en route le congélateur de dettes. Ou bien accepter de brûler avec. »

En grand connaisseur du passé, il ajoute ce juste écho (un brin glaçant) : « Dans l’Histoire, de tels niveaux de dette n’ont été soldés que par la banqueroute, la guerre ou l’inflation. Qui en veut ? Qui a intérêt à un tel chaos ? »

Les fantômes de Keynes et Mitterrand

Jean-Luc Mélenchon n’a pas son pareil pour dénoncer les absurdités immanquables du système capitaliste. Le tout au risque de répondre, dans son projet, par d’autres coquecigrues. S’il fait le pari de la relance keynésienne, convoquant le fantôme de Roosevelt et du « New Deal », il oublie sans doute, presque comme tout le monde, que l’expérience s’est soldée par un échec. La relance publique, lancée en 1933 à grand renfort de moyens, ne permit pas de combler les échecs de la crise de 1929. Ce ne fut qu’avec l’effort de guerre et les prodigieuses dépenses nécessaires à l’armement que l’économie américaine reçut le coup de fouet salvateur. Marx ne disait-il pas que les guerres étaient une façon pour les États capitalistes de contrer les effets des crises économiques qu’ils subissaient périodiquement ? Les deux guerres mondiales l’attestent tragiquement.

Un dernier exemple pour Monsieur Mélenchon. Il ne faut pas aller le chercher bien loin, puisqu’il s’agit de son propre mentor, François Mitterrand. Jeune socialiste, Mélenchon était reçu parfois à l’Élysée, pour quelques conversations avec le président d’alors. L’icône de la gauche, élu en 1981, avait tenté l’expérience socialiste. Une aventure qui se termina sur un coin de table, deux années plus tard, lorsque face aux pressions du monde économique, Mitterrand décida le « tournant de la rigueur ». Le soir même, dans une adresse aux Français, il évoquait le début « d’une simple parenthèse ». Quelques mois d’arrêt pour reprendre son souffle, redresser les finances et repartir ensuite sur la course du progrès social… Mais la parenthèse, depuis, n’a jamais été refermée. Un souvenir qui fait écho une nouvelle fois à la leçon de Blum.

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