Temps de lecture estimé : 2 minutes

« On ne peut pas faire supporter cette augmentation à nos clients, alors il faut se débrouiller pour payer moins cher »

Le plus grand marché d’Europe n’est pas épargné par l’inflation et les clients de gros en pâtissent. Alors, pour garantir leur pérennité, ils se livrent chaque matin à une véritable bataille commerciale. Yassin, commerçant sur le marché de Belleville dans le XXe arrondissement, nous emmène dans son quotidien, à Rungis.

Il est trois heures, Rungis s’éveille… Même si la capitale des grossistes ne dort jamais vraiment. En revanche, pour les primeuristes, c’est au creux de la nuit que tout se joue. Dans le hangar « C2 », dédié aux denrées végétales, les étals colorés de fruits et légumes contrastent avec la grisaille du bâtiment. La mine des commerçants est aussi bien blafarde. Ce n’est pas la joie en ce moment avec l’inflation galopante.

Des mois de prix à la hausse qu’ils peinent toujours à encaisser : « Quoi, 1,60 le kilo d’oignon ?, peste Yassin, l’un des clients de gros habitué de Rungis. C’est beaucoup trop, il a encore pris 15 % ces derniers jours. »

La danse des négociations

« On ne peut pas faire supporter cette augmentation à nos clients, alors il faut se débrouiller pour payer moins cher », explique-t-il, remis de sa surprise. La débrouille pour lui, ça veut dire négocier. Un rituel à la mise en scène étonnante, un duel redoutable entre un grossiste et notre marchand. Tout commence par une poignée de main ferme et amicale – à Rungis, tout le monde se connaît et se respecte. Ensuite, face à Benjamin le grossiste de l’enseigne Vinas, Yassin s’informe sur le prix des courgettes.

« Un euro soixante-dix le kilo ! », lui balance-t-il, avant de tendre son index vers le bas. Un signe connu des habitués. Les néophytes, qui tournent comme des vautours autour de la négociation, ne le capteront pas mais, avec ce simple geste, le prix vient de baisser de dix centimes. Un rabais que Yassin a obtenu grâce à ses 25 ans d’expérience au sein du marché. Affaire conclue. Il repart avec plusieurs dizaines de kilos de courgettes haut de gamme, bien calibrées et d’un vert impérial.

Une stratégie bien huilée…

Car ici, le bel aspect est primordial. Pour les légumes traditionnels – comme la fameuse courgette –, le haut de gamme vient de France. La moyenne gamme arrive d’Espagne et l’entrée de gamme est marocaine. C’est le cas aussi pour les carottes. Sur ce sujet, Yassin le concède, son concurrent direct à Belleville ne choisit que les meilleurs arrivages.

« Le jour où il ne vend pas à Belleville, je sais que je peux prendre les carottes d’Espagne et gagner un peu plus d’argent. Mais, les autres jours, je dois m’aligner avec ses choix », se marre-t-il, ses yeux bleu-gris remplis de malice. Des astuces du genre, le marchand en sort des dizaines de son panier. Mais derrière ces légers subterfuges se cache un enjeu bien plus important, celui de maintenir à flot son affaire.

… et des business parallèles !

Plus loin dans le hall C2, les cagettes de fruits exotiques jonchent le sol. Un léger effluve méditerranéen s’en dégage et réchauffe les clients dans la fraîcheur nocturne. C’est là que Yassin croise son ami Franck, un autre client habitué du marché. Les deux hommes discutent de leurs petites affaires. « Deux filets de pommes de terre contre mon carton de lessive, ça te va ? », lui propose Franck. L’accord se conclut vite et, bientôt, les bidons attendront Yassin devant son semi-remorque.

Dans le hall C2, les primeuristes sillonnent les allées à vélo pour économiser du temps.

Ce business parallèle, il est essentiel à certains marchands pour joindre les deux bouts. Ici, les négociations officielles laissent parfois place à ces petits accords passés sous le manteau. Entre les diables et les palettes, il n’est pas rare de surprendre une conversation sur un whisky japonais vendu quatre fois moins cher qu’en boutique ou sur un paquet de clopes à cinq euros.

Ses palettes chargées au fond de son camion, Yassin repart fissa en direction de son stand sur le marché de Belleville. Il faudra se presser pour tout décharger et se mettre en place car il est bientôt cinq heures. Et Paris se réveille.

Les augmentations de prix sur un panier de légumes en un an (prix exprimés en HT), à partir du Réseau des Nouvelles des Marchés

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.