En entreprise, qui l’on connaît compte davantage que ce que l’on sait

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Une analyse signée Céline Flipo, assistant professor à l’Iéseg School of management, et publiée par The Conversation.

Les entreprises sont des arènes sociales où les individus ne cessent de développer des relations. Si certaines de ces relations interpersonnelles découlent de l’organigramme de l’entreprise, d’autres connexions, plus informelles, émergent lorsque les employés développent des liens d’amitié, plus discrétionnaires.

Ces relations constituent une ressource majeure. Elles donnent accès à des informations, fournissent un soutien émotionnel, et contribuent à renforcer l’engagement au travail. D’où le vieil adage – ce qui compte, ce n’est pas tant ce que l’on sait mais qui l’on connaît (it’s not what you know, it’s who you know). Par exemple, si Adele est devenue la chanteuse incontournable que nous connaissons tous, c’est non seulement grâce à son talent immense mais également grâce à une amie qui a posté sur Myspace une démo de trois chansons qu’un directeur musical a ensuite repérée. C’est donc d’abord ce lien d’amitié qui a été à l’origine de l’envolée de sa carrière.

À l’instar d’Adele, dans les entreprises, la clé de la performance réside bien souvent dans l’existence de réseaux de collaboration informelle. Il est ainsi crucial pour les managers d’être à même d’en faire la cartographie. Facile, me direz-vous ? En 2001, une étude avait montré que les managers ont systématiquement tendance à se tromper.

Points de jonction clés

En effet, si elles/ils peuvent être en mesure d’identifier des réseaux locaux de collaboration, les configurations plus larges de collaboration informelle sont souvent beaucoup moins visibles. Ainsi, il n’est pas rare pour un manager de croire un employé occuper une position centrale dans le département alors qu’elle est périphérique, le manager étant enclin à confondre son propre relationnel et celui des autres avec cette personne.

En résulte une tendance récente pour les entreprises à embaucher des cabinets de conseil spécialisés dans la « cartographie des réseaux », voire pour les grandes entreprises à créer des entités de recherche, dont certaines missions sont consacrées aux réseaux. Par exemple, Microsoft, via son laboratoire de recherche Microsoft Research, a développé tout un pan de son activité social sciences dédié aux réseaux sociaux et à leur cartographie.

Leurs méthodes ? Administrer des questionnaires à tous les employés afin de connaître la nature de leurs relations : en les interrogeant sur les personnes vers lesquelles elles se tournent pour obtenir des informations et de l’expertise, avec lesquelles elles prennent régulièrement des décisions, vers lesquelles elles se dirigent pour aborder des problèmes nécessitant davantage de créativité et combien de temps elles investissent dans ces relations. Des méthodes plus récentes déterminent la force des connexions au sein des réseaux en utilisant l’ensemble des communications entre les employés, prenant en compte la fréquence voire le contenu des échanges par mail, chat ou vidéoconférence.

Cette analyse de réseau fournit des informations essentielles sur les points de jonction clés du réseau ainsi que sur l’existence potentielle de problèmes structurels, tels que des manques de connexions qui compromettent l’exécution de la stratégie. Des actions clés peuvent être menées afin de créer du lien entre des départements déconnectés. Les managers peuvent également constituer des équipes sur la base de ces réseaux naturels, voire attribuer les tâches aux personnes les mieux placées pour les réussir.

Notre étude, synthétisant plus de 30 ans de recherche sur ces enjeux, montre que, pour la créativité, être un « broker », c’est-à-dire un individu connectant des personnes autrement non connectées, constitue un avantage clé.

Un outil d’inclusion

En reliant des individus de différents cercles sociaux (tels que de départements différents), ces réseaux permettent l’accès à des connaissances diverses, condition préalable à l’émergence d’idées créatives en aidant à éviter les dangers de la conformité. Par exemple, une étude a montré que les innovations du cubisme de Picasso étaient en grande partie le résultat de son appartenance à des réseaux diversifiés et déconnectés.

Il est à noter que dans le contexte de la pandémie et de l’émergence croissante du travail à distance, la cartographie des réseaux est en passe de devenir toujours plus critique. La crise sanitaire de 2020 a en effet fortement accéléré le recours au travail à distance. En France, le nombre d’accords d’entreprise consacrés au télétravail a progressé de 67 % entre 2019 et 2020.

Une étude récente menée par Microsoft a documenté qu’une des conséquences du travail à distance est une difficulté accrue à développer des réseaux entre départements. Chez Microsoft, le travail à distance a fait chuter d’environ 25 % la part du temps de collaboration que les employés consacrent aux connexions entre départements, par rapport au niveau pré-pandémique. Or, ce sont ces mêmes connexions citées précédemment comme centrales pour la créativité. Et ce à une période de crise forçant individus et organisations à devenir toujours plus résilients et à développer continuellement des solutions créatives. Il en va donc de l’importance majeure pour les managers à identifier ces brokers.

Enfin, si l’identification des réseaux est si cruciale, c’est parce qu’elle a également des conséquences directes pour les questions de diversité et d’inclusion. Cette cartographie permet la prise de conscience de la difficulté pour des minorités à faire leur place dans ces réseaux informels.

Pour les femmes, cette difficulté a été pointée comme l’un des principaux obstacles à leur réussite. La cartographie des réseaux d’une entreprise de technologie américaine, pourtant fortement mobilisée sur la question de la parité, a démontré que les femmes étaient moins susceptibles d’être au centre des réseaux de connaissance, d’innovation et de prise de décision critique. Autrement dit, les hommes, et non les femmes, étaient les acteurs clés dans les réseaux qui comptaient.

De plus, les femmes avaient moins de liens avec des employés hauts placés que les hommes, quand bien même l’entreprise disposait d’un solide programme interne de parrainage. Enfin, les hommes étaient près de 20 % plus susceptibles d’occuper ces rôles de broker entre différents départements. Ainsi, faire la cartographie de ces réseaux fournit non seulement aux dirigeants un instantané du niveau d’inclusion réel de leur entreprise mais permet également de créer des interventions ciblées pour développer des organisations plus inclusives, en matière de genre mais pas que. Managers, à vos cartographies donc.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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