Comment gérer un travail qui devient de plus en plus intense ?

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Une analyse signée Argyro Avgoustaki, professeur associée de management à l’ESCP Business School, pour The Conversation.

Dans son rapport « Conditions de travail et travail durable : analyse fondée sur le cadre de la qualité de l’emploi », la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) définit le travail comme soutenable lorsque « les conditions de vie et de travail permettent aux personnes de s’engager dans le travail et de continuer à travailler au cours d’une vie active prolongée », ce qui se mesure souvent comme la « capacité à travailler jusqu’à l’âge de 60 ans et plus ». Le temps et l’intensité du travail, deux dimensions de l’effort au travail, constituent en effet des éléments du travail durable.

Dans notre impact paper (en anglais) pour la série « Better Business: Creating Sustainable Value » de ESCP Business School, nous nous sommes concentrées sur un seul de ces aspects, l’intensité du travail, en raison de son rôle majeur dans la non-soutenabilité du travail, et nous avons étudié certains facteurs clés y contribuant.

Plus de stress

En effet, comme l’ont montré des recherches, l’intensité du travail reste associée à des effets néfastes sur la santé et le bien-être général des salariés, effets qui semblent pires que ceux des heures supplémentaires.
Dans une première étude que nous avions menée avec mon collègue Hans Frankort (Bayes Business School), nous avions analysé les enquêtes européennes sur les conditions de travail (EWCS, European Working Conditions Survey) de 2010 et de 2015 pour étudier les conséquences de l’effort au travail, en prenant pour mesure les heures supplémentaires et l’intensité du travail. Nous avons constaté que, en ce qui concerne le bien-être des employé·es, l’intensité du travail est associée à une augmentation du stress et de la fatigue et à une diminution de la satisfaction au travail.

Par rapport aux heures supplémentaires, l’intensité du travail constitue généralement un facteur plus fort d’effets défavorables, même lorsque les salarié·es disposent d’autonomie et peuvent décider quand et comment exécuter leurs tâches. Dans une étude antérieure fondée sur les données des enquêtes EWCS de 2005 et de 2010, nous nous étions penchés sur la façon dont l’incertitude du travail et le recours à certaines pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) sont associés aux heures supplémentaires. Dans le présent article, j’ai analysé un groupe similaire de facteurs, mais en observant cette fois-ci le lien avec l’intensité du travail. Cette analyse repose sur les données des deux dernières vagues de l’enquête EWCS, qui ont couvert en tout 87 666 individus, répartis dans 34 pays en 2010 et dans 35 pays en 2015.

Les résultats montrent notamment que les femmes sont généralement exposées à une intensité de travail plus forte que les hommes. On observe la même tendance chez les jeunes employé·es par rapport aux plus âgé·es. De plus, les salarié·es confronté·es à des pratiques de GRH telles que la formation financée par les employé·es, la formation en milieu de travail, le travail en équipe, la rémunération variable et la rotation des tâches, ressentent une intensité du travail plus forte que les salarié·es qui ne sont pas touché·es à ces pratiques.

Décourager l’intensité du travail

En revanche, les salarié·es qui, en vertu de pratiques de GRH, ont la liberté de décider de l’ordre de leurs tâches et de leur cadence de travail semblent vivre une intensité du travail inférieure à celle des salarié·es qui n’ont pas cette autonomie. Le facteur le plus significatif reste l’incertitude de la tâche. En effet, les salarié·es indiquant connaître cette incertitude (définie par des interruptions de leurs tâches habituelles par des tâches non prévues) ressentent une intensité du travail plus forte que les salarié·es ne connaissant pas une telle incertitude.

Enfin, les salarié·es qui font plus d’heures et ceux sans contrat à durée indéterminée semblent vivre une intensité du travail plus élevée que les salariés travaillant moins d’heures et bénéficiant d’un contrat permanent. Les autres variables (ancienneté, formation financée par l’employeur et liberté de choisir sa méthode de travail) ne semblent pas être associées à l’intensité du travail. Les responsables des ressources humaines et les dirigeants doivent donc mettre en place des politiques et des pratiques décourageant l’intensité du travail, tout en évitant les pratiques qui la favorisent.

Tout d’abord, ils doivent être conscient·es que certaines pratiques de GRH – en particulier la rémunération variable – peuvent certes générer des gains de performance, mais aussi être contre-productives, car les gains se font aux dépens du·de la salarié·e du fait d’une intensité du travail plus forte associée.

Des concessions mutuelles apparaissent nécessaires. Ainsi, pour former une main-d’œuvre plus durable, les responsables doivent tenir compte des effets néfastes de certaines pratiques de GRH. D’autres ne rendent pas nécessairement le travail plus intense, et pourraient même en diminuer l’intensité. C’est notamment le cas de l’autonomie dans la décision. Cela laisse penser que les responsables devraient concevoir des postes offrant de la flexibilité, surtout pour les catégories de salarié·es ayant indiqué ressentir une intensité du travail plus forte.

D’après l’enquête EWCS, les travailleuses et travailleurs manuel·les semblent vivre une intensité du travail plus élevée que les salarié·es des autres catégories socioprofessionnelles et, par conséquent, pourraient gagner à disposer de plus d’autonomie pour décider de leurs tâches et de leur cadence de travail. Le niveau d’incertitude de la tâche perçu par les salarié·es est un facteur positif significatif de l’intensité du travail. Cette incertitude se fait souvent ressentir lorsque les salarié·es ont peu d’informations, voire aucune, sur leurs tâches, ou lorsqu’ils ne sont pas en mesure de prévoir le nombre et la nature des tâches à réaliser.

Les responsables des ressources humaines et les dirigeant·es devraient donc essayer d’anticiper la charge de travail des salarié·es et de planifier soigneusement leurs tâches, tout en limitant autant que possible les interruptions inutiles dans leur flux de travail habituel ainsi que l’attribution de tâches non prévues. Des interruptions sont parfois inévitables, car la source de l’incertitude est souvent externe et certaines tâches ou demandes peuvent être difficiles à prévoir. Les salarié·es pourront probablement faire face à ce type d’incertitude si cela reste une exception et non la règle.

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