Bruno Le Maire : son impossible équation

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Protéger le consommateur sans mettre à mal les finances publiques. Sur la corde raide, le ministre Le Maire est sous le coup de ces injonctions contradictoires.

En politique, on considère souvent comme un succès le fait de redoubler. Et de ce point de vue, Bruno Le Maire caracole. En charge de l’Économie et des Finances depuis désormais plus de cinq ans, il s’installe comme une figure familière dans le décor moderne-triste de Bercy. Au point même de s’être mué en personnage de la littérature contemporaine, sous la plume déprimée et néanmoins superbe de son ami Michel Houellebecq. Le ministre Le Maire se retrouve l’héritier des grands argentiers de France : Jacques Cœur, Colbert, Vauban, Guizot.

Au dernier remaniement, il n’aspirait qu’à rester en poste, refusant l’habituel manège gouvernemental. Pourquoi imaginer toujours l’herbe plus verte ailleurs ? Sa charge, celle du Trésor, aiguise les appétits et peut ouvrir toutes les portes. La stratégie présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing, qui fut lui aussi le tenancier des Finances, sous le Général comme sous Pompidou, reposa sur un passage réussi à ce ministère capital. Méfiance tout de même, on a tôt fait de s’y brûler les ailes. Nicolas Fouquet, surintendant des Finances de Louis XIV, pourrait en témoigner. À trop se rapprocher du soleil, il fut pris à son propre piège. Le Roi, jaloux de ses succès, l’embastilla. Lèse-majesté.

Assurément, Bruno Le Maire n’aura pas à connaître semblable destin. Mais tout de même : la tentation fut grande, pour Emmanuel Macron, de couper l’herbe sous le pied de son ministre. Durant la longue séquence du remaniement, les gazettes bruissaient. Le large périmètre d’action de Bruno Le Maire menaçait d’être rogné. Finalement, il n’en fut rien. Pour l’instant ?

La place de la vigie

Dans le gouvernement Borne, Bruno Le Maire reste sans doute le seul à bénéficier d’un réel poids politique, d’une autonomie de fait. Il est un joueur pas comme les autres, pas tout à fait tenu aux mêmes règles. Et organise Bercy en révélant l’institution à ce qu’elle est : un État dans l’État. Le vrai pouvoir est là. L’homme passe les crises avec toujours le même flegme doctrinal, une assurance un brin surjouée, un optimisme qui confine parfois à la méthode Coué. Et en plus, il trouve le temps d’écrire des livres qui ne sont même pas mal écrits.

Mercredi 1er juin, au micro de France Inter, il tente d’éteindre les inquiétudes des auditeurs. L’inflation virevolte dangereusement, en hausse de 5,2 % sur un an au mois de mai, estime l’Insee. « Le plus dur, nous y sommes », lance-t-il comme un mantra. « D’ici à 2023, nous verrons la décrue. » Léa Salamé a beau jeu de lui rappeler qu’il annonçait en début d’année que la secousse inflationniste ne serait qu’un mauvais moment à passer… Le ministre, un peu comme tout le monde, n’imaginait guère que la guerre en Ukraine allait jeter un sceau d’huile sur les flammes naissantes de la montée des prix. Alors face à la dureté du temps, le ministre est contraint de ressortir les grands moyens. « Le retour du quoi qu’il en coûte », proclame Léa Salamé. Le ministre oppose un démenti catégorique : « Chaque euro compte. »

Protéger les Français… et les finances de la France

Et pourtant, le plan de lutte contre l’inflation, qui devrait être présenté au Parlement dès la fin du mois de juin, risque d’être un nouveau coup de canif porté à l’équilibre budgétaire. La méthode « protéger les Français » est sans doute efficace et à bien des titres indispensable, mais elle s’avère toujours plus coûteuse, d’autant qu’elle s’inscrit désormais sur le temps long. Le provisoire dure et les exceptions ont tendance à devenir la norme. Ainsi va la « prime Castex », ristourne de 18 centimes par litre de carburant. Elle devait s’éteindre à l’été et se retrouve prolongée jusqu’à l’automne, survivant ainsi à son initiateur. Tant mieux pour les automobilistes, qui en ont bien besoin, mais jusqu’à quand le Trésor public pourra-t-il tenir ? Autant de dépenses imprévues pour l’État, qui vit désormais au rythme des lois de finances rectificatives.

S’adapter sans révolutionner ?

Dans un monde bouleversé, où les crises chassent en meute, rien n’indique que le ciel compte retrouver l’azur. Et même si c’était le cas, l’inflation devrait pour très longtemps s’installer à un niveau structurellement plus élevé. Bruno Le Maire en convient : « L’inflation est aussi liée à la régionalisation de la production industrielle et de la mondialisation. Cela coûte plus cher, c’est plus cher de produire des batteries électriques en France que de les importer de Chine. On va aussi devoir investir massivement sur la transition énergétique. »

Bruno Le Maire, après cinq années sur le pont, s’apprête donc à lancer la troisième politique économique de l’ère Macron. En 2017, c’était l’essai libéral. En 2020, le virus rendit nécessaire la nationalisation de jure des salaires et d’une bonne partie de l’économie. En 2022, l’inflation contraint à de nouveaux revirements. Même si pour l’heure, la réponse à apporter semble encore assez brouillonne.

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