Ces indépendants à la poursuite du bonheur

Temps de lecture estimé : 5 minutes

2. Ces indépendants à la poursuite du bonheur

  1. Le salariat, encore hégémonique, s’essouffle
  2. Ces indépendants à la poursuite du bonheur
  3. Salariat, ils ne veulent que ça

Ils·elles sont tous·tes né·es dans une décennie spécifique. Leurs parcours ne pourraient pas se montrer plus éloignés. Et pourtant, ils·elles ont emprunté le même chemin. Une quête pour les valeurs, le temps, le sens ou la liberté qui les a poussé·es hors des sentiers classiques du salariat. Management toxique, contraintes, accidents de parcours, système inadapté… Ils·elles ont sauté le pas et sont devenus indépendants. Valérie, Karim, Adèle et Agnès vous racontent un bout de leur histoire.

 

La quête des valeurs

Valérie Flipo Coach en gestion émotionnelle, prise de parole en public et leadership relationnel lecorpsetlaparole.com

Il y a quelques années, je dirigeais le service de communication d’un centre de soin et de recherche. Mon travail donnait satisfaction à la direction. Mais un jour, tout a basculé. Une jeune femme, fraîchement embauchée, m’annonce qu’elle va prendre en charge une partie de mon activité. Ce travail que je faisais depuis des années… Le responsable reste muet, je n’ai droit à aucune explication. Je l’ai vécu comme une trahison. Jour après jour, cette nouvelle venue grignote un peu plus ma fiche de poste.

Ailleurs dans l’entreprise, un climat délétère s’installait. Mon service n’était pas le seul touché par les méthodes brutales de la direction. L’ambiance générale se détériorait à un tel point que j’ai été sommée de rédiger une charte de bienveillance pour réapprendre aux gens à dire bonjour, au-revoir ou merci… Les salarié·es souffraient, certain·es quittaient le navire. J’ai cru que je pourrai faire face, mais je me suis épuisée. Alors, j’ai jeté l’éponge.

Mal en point, voilà comment nous pourrions qualifier le management français. Mal en point également, mes proches qui subissaient un environnement de travail toxique, défectueux. Je ne voulais plus revivre ça. Mon histoire de salariée s’est arrêtée là, après trente ans de bons et loyaux services. Se lancer seule, renoncer à un très bon salaire, cette décision m’a coûté ma sécurité. Mais j’étais enfin en accord avec mes valeurs.

J’ai rencontré des personnes exceptionnelles dans mon parcours professionnel, et voici ce que l’une d’elles me répétait: « Une crise = une opportunité. » Le mantra de ma nouvelle vie. J’ai transformé cette expérience en force et défend aujourd’hui un management socialement responsable, donc performant. Mais se lancer dans l’entrepreneuriat n’a rien de tout tracé. Il m’a fallu être patiente, traverser les doutes sans m’affoler. J’ai mis en place des protocoles pour arriver à ne pas me décourager, à traverser les difficultés et rebondir. C’était un véritable entraînement mental, comme les sportifs! Et j’ai réussi. J’ai été mon propre petit laboratoire. Forte de mes expériences, de mon savoir-faire en communication managériale.

« Une crise = une opportunité. » Le mantra de ma nouvelle vie.

 

Formée au coaching, à la prise de parole et à la gestion émotionnelle, j’ai façonné une offre de conseil pour un monde du travail plus serein. Je propose à mes client·es de les aider à maintenir le cap, d’apprendre à aligner leurs valeurs, leurs émotions et leurs actes. Avec moi, les dirigeant·es et managers se forment à la stratégie orale et à la prise de parole en public. J’œuvre pour le bien-être au travail et je me sens mieux aujourd’hui, car je recrée du lien et de la confiance en entreprise. Ces deux fondamentaux qui m’ont manqué les dernières années de salariat.

 

La quête du temps

Karim Benrida
Auteur, compositeur, interprète et conseiller financier

Après un master en finances internationales, j’ai cherché du travail dans la finance, sans objectif clair ni poste défini. Car je pense sincèrement que je suis capable de tout faire si on me donne les bons outils et la méthode à suivre. Le plus important pour moi était de savoir dans quel environnement j’allais devoir travailler. J’avais d’ailleurs passé plusieurs entretiens dans le milieu bancaire que je trouvais trop formel, étouffant. J’ai saisi une opportunité dans une entreprise à taille humaine. Le patron s’intéressait plus à la personne que j’étais qu’à mon CV. J’ai beaucoup aimé cette entrée en matière. Et il m’a bien vendu le job!

 

Mais du rêve à la réalité… Les problèmes de management pesaient sur l’ambiance de travail. Des contraintes personnelles faisaient que je ne pouvais pas quitter mon emploi. J’étais pieds et poings liés. Très engagé, j’ai mis beaucoup de cœur dans mon travail et me persuadais que ces efforts seraient récompensés. Sur le plan personnel ou financier, ce travail n’était pas aussi rémunérateur que promis. Je donnais presque mon âme et on me demandait toujours plus. Et il m’a fallu aller jusqu’à l’incident pour connaître un déclic…

Après cette expérience un constat: je ne trouverai personne pour valoriser mon travail autant que moi-même. J’ai décidé de faire une pause pour prendre le temps de trouver ma voie. Dans ma situation, le salariat était une bonne solution à mi-temps pour un petit revenu. Les jours restants, je voulais travailler pour moi et développer quelque chose qui allait grandir avec mon investissement. Quelque chose que je pouvais maîtriser, qui me nourrisse intellectuellement et me stimule. Profondément dégouté par le monde du travail, il me fallait trouver dans lequel je voulais investir mon temps. Car c’est ce que nous avons de plus précieux. Toute ma vie la musique a été mon fil rouge, mon échappatoire… En 2020, la crise sanitaire m’offre le temps dont j’ai besoin pour me former. J’ai étudié le solfège, composé, appris la musique assistée par ordinateur…

À force de travail, j’ai compris que j’étais capable. Que je pouvais me lancer comme artiste compositeur interprète. C’était mon rêve depuis toujours. J’ai intégré le milieu artistique, créé un réseau et aujourd’hui j’enregistre mon premier album! C’est un choix de ne pas courir après l’argent. Un sacrifice de ne pas avoir continué dans la voie du salariat. Mais j’ai décidé d’être heureux. Et je prends le pari de gagner ma vie en étant heureux.

 

La quête de sens

Adèle Delebois - article indépendants
Adèle Delebois Potière-céramiste ceramique-toulousaines.fr

Après la Thaïlande, les Pays-Bas… En fin d’études, j’intègre une entreprise de création de concept d’hôtels et restaurants à Amsterdam. Un stage déterminant pour la suite de mon parcours professionnel, car c’est ici que j’ai appris à monter des projets de A à Z. Mon diplôme de management international filière hôtellerie-restauration en poche, je rentre à Toulouse (Haute-Garonne). Il me fallait impérativement mettre les mains dans le cambouis, me frotter au service pour parfaire mes compétences.

 

J’ai travaillé dans un restaurant puis un hôtel. Cette dernière expérience a été difficile. Trop de procédures, trop de normes… Parfois absurdes! Obligatoirement porter des talons de 10 à 12 centimètres pour faire la poussière ce n’était pas pour moi…

J’ai alors rejoint At Home, un regroupement de start-up, en tant que hapiness officer. L’environnement de travail était stimulant, ce qui m’a beaucoup aidé à développer mon propre concept, Délù, une entreprise de livraison de petits-déjeuners équilibrés et personnalisables sur le modèle néerlandais. Je me suis lancée depuis mon appartement. Je récurais ma cuisine comme si j’étais dans un resto cinq étoiles pour respecter les normes d’hygiène! Petit à petit, Délù s’est développé: une boutique, des embauches, un carnet de client·es bien rempli… Mais je ne comptais pas mes heures et me suis épuisée. À l’heure de mes 25 ans j’ai préféré arrêter.

Je rêvais de salariat, de congés payés, de salaire fixe… Je n’avais pas droit au chômage. Voilà les mots de mon conseiller Pôle Emploi: « Aux yeux de l’État, c’est comme si vous n’aviez pas travaillé du tout. » Une claque. J’ai cherché du boulot en urgence et ai trouvé un poste de responsable marketing communication dans le secteur de la pharmacie. Sans surprise, ça ne m’a pas plu, mais il fallait payer le loyer.

Je suis restée un an, puis le vide. Je me suis cherchée. J’ai commencé une formation pour être développeuse Web, puis j’ai voulu être fleuriste, puis photographe, j’ai même voulu écrire une BD! J’allais dans tous les sens mais j’avais une activité constante, la poterie. J’ai pratiqué à fond et, un jour, un ami propose de m’acheter une tasse! Et j’ai vendu cette tasse en pensant, « C’est fantastique. » Puis arrive la fête des mères et une avalanche de commandes. Pour gagner plus d’argent, j’ai commencé à donner des cours de porterie dans mon salon.

Quoi qu’il en soit, je ne me suis jamais dit: le salariat n’est pas pour moi. Je n’aime pas qu’on me contraigne dans ma façon de travailler. J’aime faire les choses parce qu’elles ont du sens et il se trouve que je ne l’ai pas trouvé dans les entreprises pour lesquelles j’ai travaillé.

Aujourd’hui, j’ai mon propre atelier. Je pensais travailler avec la terre et finalement je travaille beaucoup avec l’humain. Je me suis même formée en art-thérapie. J’adore ce que je fais, j’adore mon atelier, j’adore mes élèves. Ce qui me plaît, c’est aussi de me dire que ma vie peut changer. Peut-être que dans dix ans, je serai fleuriste, ou même photographe!

 

La quête de liberté

Agnès Guagliardo - article indépendants
Agnès Guagliardo
Ingénieure dans l’industrie pharmaceutique, prestation de service indépendant

J’ai obtenu mon diplôme d’ingénieure en 2009, pendant la crise économique. Il était donc difficile de trouver du travail. C’est en tant que technicienne de laboratoire que j’ai démarré ma vie professionnelle et déjà, ça coinçait… Devoir badger matin et soir pour enregistrer mon temps de travail, ce n’était pas pour moi. De quoi confirmer mon besoin d’évoluer en tant que cadre pour être plus libre de mes mouvements.

Puis j’ai obtenu un poste de consultante salariée. Les cabinets de conseil doivent tenir un fonctionnement analogue aux entreprises classiques. Dans mon entreprise, c’était du flan. Je suis entrée en conflit avec mon management car nous n’avions clairement pas la même vision de conduite de ma carrière. J’ai rejoint une autre société, là encore, je ne m’y sentais pas bien… À une exception près, les six entreprises pour lesquelles j’ai travaillé en tant que salariée ne me correspondaient pas.

Il se trouve que je suis d’un caractère très engagé. Le travail compte beaucoup dans ma vie. Je ne supporte pas l’ennui et ai besoin que mes tâches aient du sens. Toutes mes difficultés m’ont poussée à passer un test de quotient intellectuel sur le tard. J’avais besoin de réponses, voilà celle qui m’a été donnée: je suis à haut potentiel intellectuel (HPI).

Et j’ai compris. J’ai compris pourquoi je me sentais en décalage vis-à-vis des autres. Pourquoi je suis si engagée. Pourquoi j’apporte tant d’importance à l’excellence et à la précision. Pour autant, j’ai très mal vécu le diagnostic. Je me suis dit: « C’est vraiment foutu pour moi. J’aurais beau faire des efforts, ça ne changera rien. Je ne serai jamais sur la même planète que les autres. » Il me sera toujours difficile de trouver un environnement de travail où me sentir bien, épanouie. Le salariat me mettait en difficulté et m’obligeait à rentrer dans une organisation qui ne s’accorde pas à mon mode de réflexion.

Les HPI sont des individus un peu en décalage, capables de trouver rapidement La quête de liberté Agnès Guagliardo Ingénieure dans l’industrie pharmaceutique, prestation de service indépendant un problème et une solution. Parfois trop vite pour le reste d’une équipe qui a besoin d’un cheminement explicite. Ce qui mène à une discordance, à de la défiance. Le salariat n’a plus aucun intérêt pour moi.

Premièrement, parce qu’à mon degré d’expérience, je coûte trop cher en tant que salariée directe. Au-delà, je ne participerai plus à la comédie de l’entreprise. J’aime choisir mes missions et mes client·es et ne plus répondre aux injonctions d’un manager. Je veux ma liberté et tout est contraint dans la vie d’une entreprise. Sans oublier qu’il faut savoir plaire à son équipe, se fondre dans un moule. Ma condition de HPI rend les relations interpersonnelles difficiles. Et à la fois… je trouve que c’est du temps de travail perdu. Devenir freelance, c’est aussi me donner la liberté de travailler un peu moins et de potentiellement trouver une prochaine orientation de carrière. Mettre mon expérience au service de grandes institutions, comme l’Organisation mondiale de la santé par exemple.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.